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[Publication]-« Les Bureaucraties techniques : science et rationalisations à l’Agence environnementale américaine » – David Demortain ( Directeur du LISIS, INRAe)

David Demortain ( Directeur du LISIS, INRAe) a publié « Les Bureaucraties techniques : science et rationalisations à l’Agence environnementale américaine » dans la revue L’année sociologique 2021/1 (Vol.71), pages 39 à 70

 

« Les Bureaucraties techniques : science et rationalisations à l’Agence environnementale américaine »

La rationalité des organisations bureaucratiques reste une question ouverte, que ravive la naissance de bureaucraties techniques dans la période récente. Le terme de « bureaucratie technique » a été imaginé pour caractériser ces agences administratives qui prennent appui sur l’expertise scientifique (Benamouzig & Besançon, 2005). Ce sont des agences : elles ont le plus souvent un rôle d’exécution de politiques publiques, et bénéficient de garanties relatives d’indépendance par rapport au pilotage gouvernemental (Pollitt et al., 2001). Cette distance au politique permet un rapprochement, matériel ou symbolique avec la sphère de la science. En ce sens, ce sont des « organisations-frontières » (Guston, 2001), situées entre gouvernement et science. Elles empruntent à cette dernière son autorité culturelle et associent ses communautés à leur travail. Elles en reprennent les méthodes d’évaluation et de calcul, pour agir au mieux sur des problèmes marqués par la complexité et l’incertitude.
Les bureaucraties techniques nous invitent à nous demander comment la science participe de la rationalisation et de la légitimation de l’action administrative dans les sociétés contemporaines. Le recours à l’expertise scientifique prolonge-t‑il le mode de rationalité des bureaucraties identifié par Max Weber – celui d’organisations techniquement efficientes sélectionnant et appliquant mécaniquement les moyens permettant d’atteindre des fins prédéfinies – ou le modifie-t‑il substantiellement …

Résumé :

Cet article propose une histoire de la formalisation de la prise de décision à l’Agence de protection de l’environnement américaine, pour remettre en discussion la nature de la rationalité bureaucratique. L’Environmental Protection Agency (EPA), comme d’autres bureaucraties techniques traitant de sujets incertains à travers l’expertise scientifique, paraît en effet être une illustration proche du modèle wébérien d’une organisation appliquant une rationalité instrumentale formelle. Le recours à la science par ce type de bureaucratie, ici sous la forme de l’évaluation quantitative des risques, l’en rapprocherait d’autant. Cet article montre au contraire que le recours à la science n’est pas synonyme d’une rationalisation selon une logique instrumentale pure, dans la mesure où la considération des faits scientifiques emporte inévitablement un débat sur les fins de l’action environnementale au sein des groupes affectés par l’action bureaucratique. Les bureaucraties techniques sont rationnelles au sens où elles traduisent ces fins dans des procédés décisionnels et des architectures de savoirs, pour dégager des décisions partagées. C’est la tension créée par des conflits normatifs dans le cours de la rationalisation formelle qui permet de comprendre la diversité et la succession des politiques organisationnelles des bureaucraties, et leur manière de gouverner les fins par les faits.