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[Publication]- « Rationalisation économique des politiques environnementales » – Stephanie Barral (LISIS, INRAe)

Stephanie Barral (LISIS, INRAe) a publié « Rationalisation économique des politiques environnementales- Les effets réducteurs de la protection de la nature par le marché aux Etats-Unis. – dans la revue L’Année sociologique 2021/(Vol.71), pages 193 à 219

Rationalisation économique des politiques environnementales . Les effets réducteurs de la protection de la nature par le marché aux Etats-Unis.

Peut-on résoudre des problèmes environnementaux avec des instruments économiques ? Malgré les critiques théoriques auxquelles se prête la proposition que sous-tend une telle interrogation, critiques qui pointent du doigt l’incapacité structurelle des échanges marchands à assurer la reproduction de la biosphère (Passet, 1979), c’est le pari qui est fait depuis les années 1970 au sein d’un grand nombre de politiques publiques environnementales. Cela conduit au développement d’une diversité de dispositifs tels que les marchés carbone, les paiements pour services environnementaux ou encore la compensation écologique (Pirard, 2012). Pourtant, la dégradation persistante de la biodiversité (Ceballos et al., 2015 ; Urban, 2015) et du climat (GIEC, 2018) invite à interroger sérieusement ce postulat. Les sciences économiques, et plus particulièrement l’analyse coûts-avantages, sont généralement mobilisées pour évaluer les impacts de ces instruments d’action publique (OCDE, 2007). Centrée sur l’efficacité économique des instruments, cette technique d’évaluation est souvent critiquée pour son cadrage étroit des problèmes publics ainsi que pour sa faible prise en compte des expériences effectives et de la distribution sociale et environnementale des coûts et des avantages (Benamouzig & Boudia, 2015). Les sciences sociales se sont quant à elles davantage penchées sur la mise en œuvre que sur l’effectivité de telles initiatives. Répondre à la question posée plus haut implique pourtant de se pencher à la fois sur la mise en œuvre des politiques environnementales, appréhendant ainsi le pouvoir des États de structurer un domaine d’action publique, et sur leurs effets, autrement dit sur le pouvoir des États de résoudre un problème par l’action publique (Duran, 2009)…

Résumé :
Depuis les années 1970, les politiques environnementales sont le lieu d’un « tournant libéral » sous l’action conjuguée des sphères de la science, du droit et du marché, qui se traduit par une recrudescence d’instruments économiques produits en réponse à des problèmes environnementaux. Cet article interroge la pertinence d’une telle orientation en appliquant la sociologie wébérienne des rationalisations aux banques d’espèces menacées d’extinction, un instrument économique de protection de la nature développé aux États-Unis. Premièrement, il montre comment les domaines d’application du droit de l’environnement participent à une définition restrictive des objets du droit, c’est-à-dire des catégories à protéger, sous-tendue par une hiérarchie de valeurs attachées à la nature. Deuxièmement, il analyse les circuits de financement et les facteurs de rentabilité qui organisent la participation d’investisseurs privés dans la mise en œuvre de la politique, et met en évidence le fait qu’un nombre restreint d’espèces menacées sont attractives et donc effectivement protégées. En invitant à se pencher sur la tension entre les principes abstraits du droit et leur rationalisation matérielle dans le développement d’échanges marchands, la sociologie wébérienne donne ainsi à voir les effets réducteurs de la protection de la nature par le marché.