Thématiques de recherche
Le laboratoire s’est donné pour objectif de mener des recherches autour de cinq enjeux principaux dans les années à venir (2025-2030). Ces enjeux thématiques et méthodologiques sont travaillés par les membres de l’unité regroupés dans des groupes thématiques et au sein de la plateforme Cortext. Des dispositifs de discussion en axes transversaux ont été pensés pour prendre en charge les thématiques transversales aux groupes thématiques.
1. Gouvernance de l’innovation et des transitions sociotechniques
Le premier enjeu thématique tourne autour de la gouvernance de l’innovation et des transitions, et vient poursuivre les recherches du groupe thématique innovations et transitions sur les manières dont des chemins d’innovation et de transition sociotechniques se dessinent. La poursuite et l’approfondissement des recherches sur ces sujets sont rendus nécessaires par ce qu’on décrira comme la concurrence des modèles d’innovation et de changement sociotechnique : il s’agit de regarder les transitions sociotechniques comme des processus marqués par des tensions entre les manières de produire du changement et les capacités des acteurs de donner une direction aux changements souhaités. Il s’agit d’étudier comment les transitions agro-écologiques, numériques et urbaines, entre autres, se forment entre le recours à la recherche et à l’innovation de rupture d’une part — avec les attentes vis-à-vis des sciences transformatives —, et le choix de transformations sociétales dans lesquelles la participation des citoyens et les innovations sociales prévalent d’autre part.
2. Pluralité des connaissances et action publique
Les sociétés contemporaines s’affirment comme des sociétés de mise en débat — sinon de mise en doute — des énoncés experts et des sciences, au profit de la circulation de connaissances produites selon des épistémologies et des projets politiques variés. Sans parler de crise de l’expertise, on peut considérer que les conditions de production de la crédibilité, de l’objectivité et, plus encore, de vérités dans les espaces publics et sur des enjeux politiques, sont devenues considérablement plus complexes, alors que le paysage des connaissances devient pluriel et évoque une forme de fragmentation épistémique des sociétés. Il s’agit alors, au-delà des discours de crise, d’analyser cette politique des connaissances : la distribution et la coexistence de différentes manières de connaître et d’agir sur les problèmes collectifs, dans différentes arènes de la société et au sein même des champs scientifiques, avec les différentes postures épistémiques et politiques qu’ils abritent. Il s’agit de s’interroger sur ces écologies complexes de l’expertise, les différents registres d’évaluation des connaissances, et l’incommensurabilité ou la non-circulation des connaissances entre les arènes (académiques, industrielles, civiques, ou hybrides, numériques et non-numériques…) où l’on débat des problèmes collectifs et désordres de la société, et des manières de les traiter. Il s’agit enfin de questionner l’évolution des manières de prendre des décisions collectives dans des sociétés marquées par la controverse et le désaccord concernant le changement des sociétés et les rapports collectifs aux techniques, à l’économie, à l’environnement.
3. Infrastructures de connaissance et transformation des sociétés
L’action sur des problèmes collectifs (pollutions, maladies, risques sanitaires, problèmes urbains…) est déterminée par les manières de connaître, de mesurer et d’évaluer ces problèmes. Ces modes de connaissance des problèmes sont eux-mêmes formatés, produits par des réseaux de technologies, d’organisations et de normes, qui génèrent de manière routinière et font circuler des connaissances sur ce qui constitue les sociétés.
Les infrastructures de connaissance posent de nombreuses questions empiriques et théoriques nouvelles. Elles sont omniprésentes dans nos sociétés, et présentes en plus grand nombre, si l’on pense aux infrastructures de données et de calcul, ou plus simplement aux systèmes d’information à travers lesquels on peut prendre la mesure, évaluer et représenter de manière ordonnée, et in fine agir, des entités comme la production scientifique, l’innovation, l’environnement, la santé, l’alimentation, l’économie, la ville…
Il s’agit, avec cette thématique, de considérer la création, l’extension, la maintenance d’infrastructures de connaissance; la manière dont elles assurent la coordination au sein et entre des organisations complexes, et organisent l’action, les acteurs y compris privés, et marchands, qui conçoivent leurs équipements et les mettent en place ; la manière dont elles organisent, stabilisent mais aussi verrouillent des manières de comprendre et de réguler les sociétés ; la manière dont elles rendent visibles ou invisibilisent des phénomènes, et dont on doit les modifier pour pouvoir rendre tangibles, et gouvernables, de nouvelles réalités.
Il s’agit aussi d’aborder les conséquences de la numérisation massive et profonde des mondes sociaux, de leur plateformisation et datafication, en termes de connaissance commune, de perception de ces mondes et de manières d’agir dans et sur ceux-ci ; questions qui restent très largement à étudier, au moment où se déploient à travers la société, des infrastructures numériques génératives.
4. Ontologies et politiques des futurs
Les sociétés contemporaines sont traversées de discours sur les changements qui les affectent, et sur leurs futurs, émanant tant du développement de technologies et des promesses les entourant, que de la crise climatique et des menaces qui en découlent.
Il s’agit ici de prendre la mesure des tensions qui existent entre différents imaginaires des futurs sociotechniques, et les anticipations faites dans la société — des anticipations ordinaires aux anticipations d’experts, d’industries ou d’institutions — concernant les transformations qu’il conviendrait de conduire.
Cet enjeu prend au sérieux le fait que ces anticipations et constructions de futurs se diversifient, se politisent et rentrent en conflit, que l’on songe aux imaginaires des risques et de l’effondrement, des diverses représentations de la manière dont la société peut se décarboner ou s’écologiser, ou encore des multiples déclinaisons de la soutenabilité.
Il s’agit dès lors de comprendre les différents registres de définition des futurs portés par différents acteurs, de la place des promesses – technologiques et non-technologiques — dans ces discours, de la manière dont ils sont utilisés comme ressources pour agir dans et performer le présent.
Il s’agit de poser la question des instruments — de la modélisation et scénarisation, en passant par la prospective — mais aussi des dispositifs participatifs que les sociétés parviennent à construire, pour s’entendre sur les futurs et mobiliser des scénarios et imaginaires pour créer le changement à différentes échelles institutionnelles.
5. Computation et numérique pour les sciences, techniques et l’innovation en société
Cet enjeu d’ordre méthodologique concerne la transformation numérique des sciences sociales. L’enquête numérique recouvre le fait d’utiliser petits et grands jeux de données, et une variété d’algorithmes pour traiter ces données, pour augmenter l’enquête sociologique ou ethnographique.
La notion souligne les assemblages entre méthodes sociologiques et ethnographiques non-numériques, avec le numérique, à de multiples niveaux : cartographier des environnements sociaux avant de choisir des sites d’enquête ; replacer dans des contextes plus larges les sites dans lesquels des enquêtes ont été menées ; consolider des observations situées grâce à des analyses à l’échelle de corpus de taille petite, moyenne ou grande ; enquêter de manière conjointe dans des espaces numériques et dans des espaces non-numériques ; étudier les discours des acteurs simultanément sur et en dehors de médias numériques…
L’enjeu autour de CorText concerne la diversification des données pouvant être traitées dans le CorText Manager, et le développement d’outils intégrés à cette interface permettant de les structurer, de les explorer, et d’y appliquer de multiples algorithmes. Cette capacité fait de CorText une véritable infrastructure pour les SHS. L’enjeu ici est de consolider cette infrastructure pour les sciences sociales computationnelles, en développant notamment l’offre de données, les algorithmes récemment introduits (par exemple d’analyse géospatiale), mais aussi en offrant des outils nouveaux de classification à base de Large Language Models (LLM). Le développement d’une nouvelle version du CorText Manager est prévue (pour faciliter l’accès à la documentation, à l’historique des opérations effectuées, visualiser et reproduire la chaîne d’opérations, produire et publier un rapport d’analyse synthétique), ainsi qu’un agrandissement de l’espace de stockage distribué et de capacités de calcul.